Abysses, un récit où l’intime se mêle au tragique du monde. À partir de ses séjours à Lampedusa, Davide Enia tisse une parole bouleversante : celle des migrants rescapés, des sauveteurs, des pêcheurs, mais aussi celle d’un fils et de son père face à leurs propres naufrages.
La pièce est le carnet de plusieurs séjours à Lampedusa, l’île italienne identifiée par ses accostages et son centre d'accueil des migrants. La volonté de l'auteur est de nouer sa vie familiale (son père et son oncle), au drame de ces familles échouées. Il incruste un matériau documentaire, composant une rythmique régulière entrecroisant l'avis des sauveteurs, celui de ses amis habitants de l’ile ou des pêcheurs.

par Léon et Jacques Bonnaffé
La pièce mène à un récit autobiographique parfois drôle destiné à dépasser les stupeurs, dans l’observation d'une relation familiale chamboulée par un voyage inhabituel, relation du fils à son père et du père au fils, qui n’avait jamais rien connu de cette intensité. Mais la pièce ne s’en tient pas à cela, elle dit parallèlement son attachement à un vieil homme, l’oncle du narrateur, qui échappe au cancer une toute dernière fois avant d’être emporté définitivement. Et, bien sûr, elle ne s’en tient pas à la mort, cette pièce, mais bifurque jusqu’au descriptif passionnant des opérations de sauvetage. La "beauté du geste" sans métaphore. Une description technique d’où émerge cette décision de changer la vie en brisant la fatalité des noyades. Dans l’habitude de travail de la compagnie c’est par l’esquisse au plateau que naît la mise en scène. Place à la parole et à l’usage d’un chant suggéré par l'auteur : celui des pêcheurs italiens de Lampedusa. Nous prenons le parti d’une distribution père/fils au pied de la lettre, le fils Léon avec Jacques son père pour établir le partage du texte. Il nous apparaît que le geste de Davide Enia se rapporte à ce qui nous lie, aux attaches indéfectibles aux épreuves de la vie. La scène illustre nos liens familiaux à l’espèce humaine.
mis en scène par Sara Amrous
Abysses est une pièce de Davide Enia, écrivain Italien dont la réputation s’est faite par le mémorable Italie-Brésil 3 à 2, récit d’un match de football au sein d’une famille italienne. Si le thème central est ici celui des naufrages en Méditerranée, c’est du désarroi de l’auteur lui-même dont il est question, de ses interrogations sur la forme à donner à ce drame, jusqu’à y mêler sa vie propre, ses proches, son père sicilien, énigme de silence et d’introspection, son oncle adoré qui est progressivement emporté par un cancer. Figures familiales auxquelles s'ajoutent celles des amis sur l’île, qui ont vu leur vie basculer en quelques nuits de détresse, anéantissant d’autres familles venues d’ailleurs. Par touches narratives, la contribution des sauveteurs et celle des pêcheurs cogne le récit. Leur implication est experte, à travers leurs voix c’est le geste de sauvetage, un savoir-faire et nos capacités d’intervention qui sont mises en question : sauver des vies, respecter certaine loi maritime.

AUTREMENT DIT :
Le bateau que nous espérons n’est pas ce rêve de croisière aux Baléares, c’est un Navire Avenir conçu pour un sauvetage maitrisé qui met à profit les expériences des rescapés, l'intelligence des constructeurs et la ténacité des organisations de secours en mer. Pour faire de l’Europe sa bannière et que l’humanité cesse d'être indifférente au monde.
Avec Davide Enia, écrire la carte de l’île du sauvetage. Se défaire des habitudes philanthropiques valables au comptoir des bonnes pensées. Oser regarder cette mer et se dire qu’un jour l’Europe pourra s’y trouver, loin des fureurs militaires.